[dropcap size=small]C[/dropcap]onjuguant le cyclisme au plus haut niveau depuis plusieurs années, Edwige Pitel raccrochera le vélo après le chrono des nations. À cette occasion, nous avons contacté Edwige Pitel qui a accepté de répondre à nos questions sans détour !
Votre venue au plus haut-niveau dans le monde du cyclisme
Bonjour, pour commencer, qu’est-ce qui a déclenché chez vous l’envie de pratiquer le cyclisme au haut-niveau ?
De savoir que j’avais des capacités physiques pour y briller et l’envie de participer aux JO.
Mais si le duathlon avait été un sport olympique, je ne l’aurais pas abandonné. C’était un milieu où la parité était respectée à tous les niveaux, épreuves, distances et prix communs, et où la performance et la hiérarchie sportive étaient les seuls critères de sélection. Comme j’étais aussi performante en athlétisme qu’en cyclisme, je pouvais gagner toutes les épreuves, que ce soit le long où le cyclisme prévalait par les règles de non-drafting, ou inversement le court où le coureur à pied dominait grâce au drafting à vélo. J’adorais aussi l’ambiance très conviviale et semblable au triathlon.
En plus du cyclisme, vous êtes également connue pour votre pratique de l’athlétisme (duathlon, cross-country) ; n’est-il pas trop difficile de concilier l’ensemble ?
J’avais trouvé un équilibre dans l’entrainement pour concilier course à pied et cyclisme, qui me permettait de rester aussi performante dans les 2 sports tout en ayant des charges 2 fois moindres qu’un spécialiste sur une seule discipline, en jouant sur les transferts entre les 2 disciplines. Je n’appliquais pas l’entrainement classique des 2 sports chaque jour, mais je travaillais par bloc de 2-3 jours sur un seul sport. J’évitais ainsi de mélanger les 2, car c’était musculairement très traumatisant et je pouvais faire plus de qualité dans un bloc en évitant la fatigue parasite de l’autre sport.
Par contre, psychologiquement, concilier toutes les compétitions était effectivement difficile, car il y avait toujours une épreuve ou un championnat à préparer. J’ai fini par faire des choix pour pouvoir faire des breaks et échapper au stress de la compétition. J’enchainais au début cross-country l’hiver et athlétisme sur piste et route l’été. Ensuite j’ai remplacé la piste par le duathlon l’été. Puis, c’est sur l’hiver que j’ai fait l’impasse. Et quand j’ai découvert le cyclisme, j’ai arrêté les compétitions d’athlé pour ne garder que le duathlon en parallèle. Enfin, quand j’ai décidé de tout donner pour les JO , j’ai aussi stoppé le duathlon.
Avant de débuter votre carrière, aviez-vous des idoles dans le cyclisme (féminines ou/et masculines) ?
Bernard Hinault, breton comme moi et en plus j’habitais à 4 km de chez lui à l’époque. J’aimais autant son panache que son franc-parler ! Quand il m’a félicité personnellement pour mon titre de championne de France sur route en 2007, j’étais trop heureuse.
Un magnifique palmarès
Championne du monde de duathlon longue distance (2000), Championne de France sur route (2007), du contre la montre (2004 et 2005), lauréate du tour de Bretagne (2003) et du Limousin (2005), des victoires prestigieuses (chrono des herbiers à 3 reprises), des places d’honneurs (cinquième du tour des Flandres en 2006), deuxième de la grande boucle féminine (2005) Championne du France de Scratch (2008) et la liste est encore longue !
Des victoires à en faire tourner la tête ; si vous deviez faire un top trois dans vos victoires toutes disciplines confondues, à quoi ressemblerait-il ?
- Mes 2 titres de Championne du monde de Duathlon
- Mon 1er titre de championne de France de CLM en 2004 en repoussant la 2ème à 48’’
- Mes 13 autres titres de championne de France (7 en en Duathlon, 4 en cyclisme, et 3 en athlétisme)
Et à contrario, quel est votre pire souvenir sportivement ?
Ma non-sélection aux JO de 2008. Ma non-sélection au championnat du monde de cette année est aussi en bonne place. Les deux fois je me suis heurtée à la mauvaise foi fédérale.
D’une génération à une autre
Marianne Vos fait la une des médias, certains la considèrent comme la meilleure féminine de tous les temps. Vous avez côtoyé un grand nombre de championnes, partagez-vous cet avis ?
Oui clairement. Elle a un palmarès immense et très diversifié. De plus, c’est une fille très sympa, avenante, reconnaissante. Elle s’est toujours souvenue de mon soutien au giro 2010 pour elle quand toutes les favorites s’étaient liguées contre elle et qu’elle s’est retrouvée esseulée. Moi, ça m’avait fait super plaisir de me rendre utile. Depuis, elle me dit toujours bonjour avec 2-3 mots sur les courses.
Elle fait aussi vraiment beaucoup pour le développement du cyclisme féminin, et je l’admire aussi pour ça, car ça demande beaucoup d’énergie extra-sportive.
Une vraie grande championne, tant sur le vélo qu’en dehors.
Et au niveau de la médiatisation, la pétition, la course by le tour, sentez-vous un engouement médiatique en cours ?
Les choses sont clairement en train de bouger. La TV arrive parfois sur quelques courses maintenant.
L’arrivée de Brian Cookson à l’UCI et les actions de Vos semblent vouloir booster ce mouvement. Quelques équipes UCI se donnent vraiment les moyens d’être professionnelles pour l’ensemble de leur effectif. Des nouvelles courses apparaissent dans certains pays pour combler un retard évident…
Mais, pour accélérer vraiment le développement du cyclisme féminin partout, il en faut plus : des organisations communes avec les hommes (comme c’est parfois le cas, sans pour autant tuer les organisations existantes), des prix identiques (c’est la loi dans bien d’autres sports), obliger les équipes World tour à avoir une équipe fille et l’UCI à imposer un vrai statut professionnel comme chez les hommes. Au niveau média, il manque aussi un traitement identique, plus de TV, des pages dans les journaux… On est encore loin de tout ça !
En France, la course by le tour n’est qu’une épreuve – certes très bien dotée et ça, c’est une avancée -qu’ASO a consenti pour calmer les revendications des filles d’avoir un Tour de France féminin en ouverture de celui des hommes. Tout le monde s’extasie devant cette course ; mais sur le fond elle a été assez monotone à regarder (comme pour les hommes d’ailleurs), alors que d’autres courses peuvent offrir un spectacle beaucoup plus intéressant pour les spectateurs. Un réel effort d’ASO aurait été, par exemple, de coupler les 4 derniers jours du tour : une étape de montagne, une pour baroudeurs, un chrono et une étape de sprint. La, ca aurait eu de l’allure, et tout le monde aurait pu jouer dans son registre.
Peut-être que l’avènement de PFP aidera à cette accélération en France.
Vous venez de terminer le tour de l’Ardèche sur la troisième marche du podium ; quelle a été l’étape la plus difficile ?
Sans hésitation, le 4e jour. L’étape commençait par une montée de 30 kms et les Astana bePink ont vissé d’entrée à ma grande satisfaction. On s’est retrouvé très vite entre costauds. Ensuite on ne s’est pas réellement entendu et on s’est flingué pendant 80kms. Seuls les 15 derniers kms furent plus calmes. Les écarts à l’arrivée furent énormes : Le deuxième groupe est à 7 minutes, le 3ème groupe à 9 minutes et le peloton « équipe de France » à plus de 12 minutes.
J’aime quand les courses sont durcies et que le résultat se fait à la pédale….
Ce tour a montré le niveau de chacune sur une épreuve où beaucoup de nations ont attendu son verdict pour finaliser leur sélection au mondial. Logique, vu que Ponferrada sera sur le même registre. Et je constate que toutes les sélections étrangères ont pris les meilleures sur le terrain… La tendance actuelle, on le voit vraiment avec les meilleures équipes UCI féminines, c’est d’avoir un maximum de filles capables d’être leader et de se substituer en équipière de luxe pour la meilleure du moment au vu des circonstances de course.
Les championnats du monde
Comme on vient de le souligner, à la sortie d’un excellent tour de l’Ardèche ou vous terminez meilleure française, vous n’êtes pas sélectionnée pour disputer les championnats du Monde.
Avez-vous été étonnée de cette non-sélection ? En aviez-vous discuté avec Sandrine Guirronnet ?
Pfff, écœurée surtout. Etonnée, malheureusement non. Je l’ai vu venir insidieusement, mais j’ai toujours espéré que la réalité du terrain prévaudrait au final. Quelle naïveté de ma part encore une fois !
J’avais eu un premier indice par la volonté du DTN, déjà injoignable, en nov. 2013, de ne pas renouveler ma CIP, alors que je venais de finir la saison très fort :
- La seule française au mondial avec Pauline à passer la 1ere bosse avec les meilleures quand les américaines ont fait exploser la course et ensuite à la finir,
- le CLM des herbiers au niveau top 10 mondial où j’explosais mon record personnel de 30s,
- comme j’avais aussi battu tous les records des CLM et montées de Rhône-Alpes, qui étaient la propriété de Longo entre ces 2 compétitions.
Arguant que mon employeur prenait la quasi-totalité en charge (92%), j’ai réussi à garder 30% de temps libre pour m’entrainer. Me la supprimer, c’était la 1ere façon de m’éliminer
Ensuite, j’ai participé à une seule course (CDM Fleche Wallonne) avec l’EDF, mais avec déjà des hésitations pour me sélectionner, alors que j’avais fait 15e dans le même temps que Pauline 13e en 2013 et que je finissais, pour ma 1ère sortie internationale cette année, 22e à la CDM de Binda, en étant dans le groupe de tête jusqu’à 5km de l’arrivée. Je prenais bien garde d’être irréprochable avec le collectif France, n’ayant appris que ça pendant 10 ans à la FFC. Sandrine le concédera elle-même, tout s’est bien passé entre nous tous.
Puis, j’ai essuyé un refus total de me sélectionner tout l’été avec un « je veux essayer autre chose ». Soit ! Elle m’a endormie sous le prétexte de préparer les jeunes pour les JO dans 6 ans ! Quand j’ai vu les sélections de la Route de France et des champs Elysées, j’ai compris qu’on se payait bien ma tête. Je demandais gentiment un entretien téléphonique ou en tête-à-tête pour éclaircir ce qu’il me semblait encore un malentendu réversible sur des préjugés. Mais là, refus total de me répondre, que ce soit au téléphone, par mail, par sms. La politique de l’Autruche.
Au bout d’un mois de ce cinéma, j’alertais le DTN sur la fonction essentielle d’un Entraineur National (EN) d’accepter le dialogue avec un athlète et demandais à être traitée comme les autres françaises plus jeunes. Pour toute réponse, je recevais un mail m’indiquant que, toujours dans l’optique des JO de 2016 et 2020, mes « résultats sportifs étaient certes intéressants » mais qu’elle n’avait pas décelé en moi de « qualités managériales pour m’intégrer dans le groupe France » !
Encore une ineptie, quand on me connait. Je lui prouvais le contraire en montant une équipe mixte à l’Ardèche, que je dirigeais, tout en performant sur le terrain.
Et je pourrais aussi ajouter que c’est plus le rôle du staff !
A bout d’arguments bateaux, quand je l’obligeais enfin à me parler, c’était « je ne veux pas discuter de ça avec toi », « si tu penses ça, c’est comme tu veux », ou encore devant la caméra de FR3, prise de court, elle concluait par un « c’est un choix de sélection », même si elle était aussi obligée d’avouer que «Sportivement, Edwige avait sa place». Il y en a donc au moins une qui ne l’a pas sportivement!
Quand je lis l’interview sur DirectVelo, je suis aussi interpellée par le fait qu’elle ait tant besoin de justifier les sélections des 3 filles discutables. Cela prouve le malaise vis-à-vis de moi. Si la sélection était juste, il n’y aurait aucun discours.
Comment peut-elle dire que Elise Delzenne, 26e à 18’, lâchée chaque jour sur les bosses à l’Ardèche puis 17e sur 21 à 3’47 de la victoire sur le CLM champenois est « plutôt en bonne forme » ?
Comment peut-elle dire que Séverine Eraud « a le niveau » quand elle finit à 1h5’ à l’Ardèche et abandon à la CDM de Plouay ? Comment peut-on sélectionner une gamine comme ça, 1ère remplaçante élite au Mondial, sans être aguerrie à l’international et avec ces résultats !!! Ce n’est pas lui rendre service que de mettre la charrue avant les bœufs.
Quant à Eugénie Duval, elle est sélectionnée parce qu’elle est « une très bonne équipière ». Sous entendu… Parce que moi, je ne peux pas l’être sans doute ? C’est surement ce qu’on lui a dit, et ça l’arrange bien, puisqu’elle n’a pas voulu prendre le risque de me tester dans ce rôle. Pourtant, je sais aussi faire, je l’ai prouvé maintes fois par le passé, et en faisant gagner mon équipe au passage (Univega, Uniqa, Futuroscope, SC Michela Fanini, EDF 2004,2005…).
Le DTN n’a pas été plus courageux. Ne connaissant pas mon numéro, à mon 1er appel sur son portable, il a décroché. Prétextant aussitôt ne pouvoir me parler, il me fixait un RDV téléphonique le lendemain matin à 8H30. J’attends toujours qu’il décroche et qu’il m’explique.
J’admire, en revanche, le DTN de l’athlétisme, Mr Yalouz, qui, en tant qu’ancien AHN, comprend si bien ses athlètes tout autant que la douleur qu’on peut ressentir de ne pas être reconnu à sa juste valeur sportive. Tout le contraire des personnes qui m’ont infligé ce traitement.
Heureusement pour la FFC, ils ont Pauline, nouvelle pépite du cyclisme féminin, qui apporte des résultats et ça permet de masquer le reste.
Malheureusement pour moi, ils ont le pouvoir pour eux et il n’existe pas de contre-pouvoir pour éviter ces situations. Qui se reproduiront avec d’autres. Le cyclisme est un sport où, au nom de l’équipe, on peut faire fi des résultats sportifs individuels et faire avaler n’importe quoi, sans se soucier des conséquences sur l’athlète. Et où il ne faut pas dire les vérités tout haut, sous peine de se faire sanctionner immédiatement. Bouhanni, dont j’ai aimé l’interview cash, en est le dernier exemple.
Une sélection dans le fond assez jeune qui possède plusieurs cordes à son arc avec en tête d’affiche Pauline Ferrand-Prevot ou encore Audrey Cordon. Pensez-vous qu’elles peuvent créer la surprise ?
Les surprises sont extrêmement rares aux championnats du monde sur des parcours difficiles. Je pensais avant le CLM par équipes et la chute terrible des filles de Raboliv que la sélection hollandaise de neuf filles, toutes très fortes, serait intouchable. Les cartes sont maintenant redistribuées et la course va être plus indécise, un peu comme en début de saison. Pauline, si elle est indemne, a une réelle chance de victoire et Audrey, qui est bien maligne, de profiter du marquage de Pauline. Ce qui me fait doublement regretter d’être absente, parce qu’avec ma forme actuelle et le profil du parcours annoncé, j’aurais réellement pu les épauler, à minima.
Quel est votre regard sur la sélection junior ?
Je ne connais pas assez les filles juniors et leurs résultats pour pouvoir me prononcer. Mais elles sont entre de bonnes mains avec Julien Guiborel. L’an dernier, je l’aurais bien vu devenir EN des élites.
Une page se tourne…
Vous avez annoncé raccrocher le vélo après le chrono des nations. Pensez-vous vous reconvertir dans le monde du cyclisme ou tourner définitivement la page ?
J’ai toujours eu en tête de raccrocher sur une note positive et de mon propre gré. C’est ce qui m’a poussé à continuer quand on m’a volé ma sélection des JO 2008. Ce n’était pas difficile pour autant car j’adore cette vie d’Athlète de Haut-Niveau, mais la, cet épisode est de trop. Je leur offre aujourd’hui, à mon grand regret, ce plaisir de me pousser dehors. Je vais mettre ma fierté dans ma poche pour une fois, car je n’ai plus envie de me ruiner le moral devant tant d’injustice et d’hypocrisie.
Comment voulez-vous alors que j’envisage une reconversion dans un milieu clairement hostile à ma présence? Autant j’aime le vélo et je continuerai surement à rouler pour mon plaisir, autant j’ai détesté les relations conflictuelles récurrentes avec les instances fédérales, à diverses périodes, parce qu’ils n’arrivaient pas à assumer le décalage entre mon âge et mes performances. Pourtant, j’aurais pu transmettre mon expérience du Haut-Niveau, acquise à travers la pratique de 3 sports différents et non dans les livres, sans avoir la prétention de tout connaître non plus.
Heureusement pour moi, j’ai une seconde passion : l’informatique. J’ai fait de longues études plus jeune et j’exerce depuis 7 ans en tant qu’ingénieur en informatique au sein d’un groupe qui lui m’apprécie pleinement. Mes collègues seront ravis de me récupérer à plein temps et moi j’adore mon travail. Cela a d’ailleurs toujours été un crève-cœur pour moi de devoir choisir entre le sport et l’info, car je suis convaincue que pour être performante, quelque soit le domaine, il faut faire les choses à 100%.
Et une question bonus à laquelle nous tenons beaucoup par tradition, le pire moment où vous avez déraillé ?
J’ai toujours été très attentive à mon matériel, je n’ai donc aucun souvenir au sens propre de la question. Au figuré, c’est peut-être cette décision, qui n’est pas un choix de cœur mais de dépit, d’arrêter à la fin de la saison.
C’est sur cette question que notre interview prend fin, un grand merci à Edwige pour sa disponibilité !
Nb: Toutes les personnes citées dans cet article peuvent bénéficier d’un droit de réponse
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