La saison 2014 a était riche en actualité du côté du cyclisme féminin, il y a quelques mois Pauline Ferrand-Prévot devenait championne du Monde sur Route à Ponferrada.
Aujourd’hui, nous vous proposons d’aller à la rencontre de celle qui a formé cette Sélection arc-en-ciel: Sandrine Guirronnet.
L’année dernière, vous avez décidé de relever un nouveau défi, celui de prendre en main le destin de l’équipe de France. Lorsque l’on vous a proposé de succéder à Dany Bonnoront à la tête de l’équipe de France, quelle a été votre réaction ? Est-ce que l’on vous a imposé des exigences de résultats dès la première année?
J’étais Conseillère Technique et Sportive pour le Comité de Franche-Comté depuis 2007, un comité dynamique. Je travaillais avec des personnes passionnées et compétentes qui m’ont beaucoup appris au cours de ces années.
Lorsque le poste s’est présenté, j’ai d’abord été surprise, car vététiste d’origine, je ne pensais pas pouvoir être sollicitée sur un tel poste mais après réflexion, je m’étais beaucoup investie sur la route qui présentait une grosse partie de mes activités en Franche-Comté et nous avions mis l’accent sur la route féminine ces dernières années (filles au pôle espoir, entente Bourgogne-Franche-Comté), donc sur le principe j’ai adhéré.
En ce qui concerne les résultats, je n’ai pas reçu d’exigences particulières. L’objectif est de mettre en place et de préparer un collectif Rio 2016 et Tokyo 2020. Ce projet passe par plusieurs axes, notamment permettre aux meilleurs éléments dans les meilleures dispositions pour les échéances internationales mais aussi étoffer et densifier le niveau national et international de nos françaises.
Pauline Ferrand-Prévot (et l’équipe de France) remporte les championnats du Monde en ligne, quelle a été votre toute première réaction lorsque Pauline Ferrand-Prévot lève les bras ?
C’était un peu particulier, car dans la voiture, et ça peut paraître surprenant, nous avons beaucoup d’informations en course mais à l’approche de l’arrivée plus de sons. La dernière information qu’on avait, c’était au sommet de la dernière bosse quand le groupe de quatre se détache et que Pauline bascule en cinquième position avec une vingtaine de mètres de retard.
Lorsqu’à l’arrivée, des spectateurs levaient les pouces vers nous, on avait du mal à comprendre. Mais « Elle l’a fait, elles l’ont fait ! » Quel scénario!
Une victoire significative pour l’équipe de France, que pensez-vous du niveau de la France vis-à-vis des autres nations ?
Tout au long de la saison, j’ai senti au fur et à mesure, dans les échanges avec les directeurs sportifs de team et entraineurs nationaux étrangers, du changement de regard sur nos « p’tites françaises ». Ils suivaient les progressions des filles.
Avec Pauline, impressionnante, mais aussi Audrey Cordon qui s’est révélée aux côtés d’Elisa Longo-Borghini, Elise Delzenne équipière solide et appréciée par ses coéquipières de Specialized, ainsi que les sprinteuses avec Pascale Jeuland au Qatar ou encore Roxane Fournier en Chine.
Les Espoirs ont également montré qu’il fallait compter sur elles à l’image de Séverine Eraud, vice-championne d’Europe de CLM et Anabelle Dreville, 3ème de la course en ligne, toutes deux espoir 1.
Au classement UCI, la France arrive en cette fin de saison à la 6ème place du ranking UCI (11ème en janvier). On vient s’intercaler entre la Suède et l’Angleterre.
Au regard de l’écart de points entre nos trois nations, le top 5 est accessible. Il serait surtout synonyme de quotas supplémentaires, que ce soit pour les championnats du monde mais surtout pour les JO, cela constitue donc un objectif important. Mais y parvenir, nécessite une implication collective. Il nous faut de la densité car on n’est pas à l’abri de blessures.
Nous avons pu vous apercevoir sur plusieurs courses en Coupe de France Dames notamment. Jugez-vous plutôt les résultats, ou en profitez-vous pour juger également le tempérament des coureuses ?
Sur la route, les résultats purs ne reflètent pas toujours le niveau des filles. De plus, dans la perspective d’évoluer et de progresser au niveau international, il me parait indispensable d’être offensif et de faire la course au niveau national.
Je regarde certes les résultats mais j’accorde une importance particulière à la manière de les obtenir. Je prends également en compte le travail effectué par les filles amenées à jouer des rôles d’équipières.
La sélection est un acte difficile en cyclisme sur route, je pense qu’il est nécessaire d’observer un bon niveau physique (capacité à suivre quand le niveau se durcit…), il y a aussi les aspects techniques (aisance dans un peloton…) et tactiques (lecture de courses) mais encore l’aspect collectif à prendre en compte si on veut composer une équipe prête à répondre à tous les scénarios de courses.
La sélection en cyclisme sur route s’apparente, à mon sens, plus à une sélection de sport collectif qu’à une sélection de natation par exemple ou l’on peut se baser sur des minimas.
Quel est l’objectif d’une sélection en Equipe de France en dehors des courses très importantes? (ex TCFIA, …) la découverte de futures talents ?
En partie oui, mais les filles qui sont sélectionnées sur ces épreuves ont pu montrer de belles performances au niveau national, et montrent donc déjà quelques talents.
Après, pour les aider à passer un nouveau cap, il faut qu’elles puissent découvrir et s’exprimer au niveau international. J’ai notamment pu constater cette année que les filles sont plutôt présentes « physiquement » mais pour s’exprimer pleinement à l’international, elles doivent progresser sur l’aspect « technique et tactique » rencontré sur le fait de rouler en peloton : savoir se placer, frotter, s’imposer.
Mais pour progresser, il faut pouvoir se confronter régulièrement au niveau international. J’espère que dans les années à venir, les filles pourront davantage se confronter sur des épreuves 1.2 et 2.2 du calendrier international.
Sur quels critères préférez-vous vous appuyer pour des sélections sur les « top courses » ? On a pu voir sur les derniers championnats du monde que vous accordez une grande importance au collectif, au détriment de quelques individualités comme Pitel (qui a déploré sa non-sélection dans une précédente interview).
Comme évoqué précédemment, le niveau « physique » est nécessaire mais pas suffisant.
La dynamique collective portée par les filles sur ce mondial, tout autant que celle mise en œuvre par les espoirs au Championnat d’Europe, montre que cette dimension prend, dans le cyclisme sur route féminin d’aujourd’hui, un rôle important pour l’expression de la performance.
Est-ce que l’alchimie qui s’est créée dans le groupe durant les mondiaux de Ponferrada empêchera-t-elle à de nouvelles cyclistes de rentrer dans le groupe d’ici les jeux olympiques de Rio ?
Je ne pense pas, au contraire.
Les filles ont vécu quelque chose de très fort à Ponferrada, ça restera forcément un souvenir marquant et un lien fort entre elles. Mais elles ont conscience que partager cette expérience avec les autres filles ne peut qu’être bénéfique pour toutes.
Plus l’émulation sera importante, plus les filles se sentiront impliquées et motivées dans leur pratique vers le plus haut-niveau. Elles mettront tout en œuvre pour pouvoir vivre ou revivre ces moments forts et riches en émotions et qui, de mon point de vue, sont d’autant plus forts qu’ils sont partagés. J’y crois beaucoup.
Ça ne veut pas dire que tout réussira tout de suite mais que ce soit dans la victoire ou la défaite, on est plus fort en groupe.
Quels sont les prochains rendez-vous de l’équipe de France ?
Justement, pour aller dans le sens de la question précédente, onze filles ont étaient convoquées en stage du 23 au 27 novembre au Centre National du Cyclisme à Saint Quentin en Yvelines.
L’objectif était clairement d’élargir le groupe du mondial et de travailler encore la cohésion notamment par des défis collectifs. C’était aussi un temps d’échange dans la perspective des JO de Rio.
Certaines ont découvert l’activité piste et d’autres ont peaufiné leur préparation à la Coupe du monde Piste de Londres.
Désormais, on bascule sur le calendrier 2015 avec notamment le Tour du Qatar en février et les coupes du Monde qui attaquent dès la mi-mars.
Votre action s’arrête-t-elle à la formation de la meilleure équipe possible ou bien travaillez-vous en plus avec la fédération pour essayer de développer le cyclisme féminin en France qui dispose à l’heure actuelle que d’une seule équipe au niveau UCI ?
Tout est lié.
Si on souhaite avoir des équipes compétitives sur tous les terrains, il paraît indispensable de travailler à tous les niveaux.
Il y a, d’une part, une équipe de spécialistes et techniciens à mes côtés pour accompagner les filles dans le haut-niveau, et d’autre part, il y a des relations avec les commissions fédérales notamment sur l’aspect du calendrier et de la réglementation et des liens à étoffer avec les collègues Conseillers Techniques et Sportifs pour être en phase avec ce qui se passe sur les territoires.
Tout ceci s’inscrit dans le projet de développement du cyclisme féminin souhaité par la FFC et dynamisé par la Direction Technique Nationale.
Avec à ce jour seulement 10% de femmes licenciés à la FFC, nous avons effectivement du travail à effectuer, mais nous avons donc aussi une grosse marge de progression possible.
Il y a une impulsion et une attention qui s’installent fermement autour du sport féminin, notamment par le biais des institutions, mais aussi dans le cyclisme féminin avec une médiatisation de certaines épreuves et de la création d’épreuves d’envergure internationales.
Gageons que les résultats de nos françaises renforcent cet élan et que tous ces évènements s’installent dans la durée tout en permettant de faire aussi perdurer l’existant.
Et donc, dans cette dynamique, d’autres équipes françaises pourraient venir renforcer l’équipe de Poitou-Charentes Futuroscope au niveau UCI.
Que pensez-vous de la génération junior qui arrive ? Est-ce que vous êtes régulièrement en contact avec Julien Guiborel ?
Les juniors françaises n’ont pas de complexes à avoir par rapport à leurs homologues étrangères.
Les résultats internationaux sont présents et les filles se montrent performantes. Je pense qu’elles ont besoin d’en prendre conscience et de pouvoir encore s’appuyer davantage les unes sur les autres pour se positionner nettement par rapport aux autres nations.
Julien travaille bien en ce sens. Il leur apporte un bon cadre pour appréhender le Haut-Niveau et propose un calendrier qui leur permet de bien rentrer en contact avec l’international.
Nous échangeons régulièrement ensemble et ceci me semble nécessaire pour qu’il y ait une vraie cohérence et continuité pour les filles qui passent en espoir.
Remerciements à Sandrine Guirronnet pour sa disponibilité.
Propos recueillis par Sébastien