[dropcap size=small]P[/dropcap]our le lancement de cette nouvelle version du site, nous avons le plaisir de vous proposer un entretien avec Yannick Talabardon qui, jeune retraité du cyclisme professionnel se livre sans détour sur sa carrière, le cyclisme qu’il a connu et ce qu’il entrevoit pour l’avenir.
Tu viens donc de finir ta carrière, et j’ai lu dans un article de l’Equipe que tu te lançais dans une formation de journalisme/communication…cette interview marque donc la transition entre ton passé de cycliste et ton futur dans les médias ! Tu vas dès aujourd’hui pouvoir répondre en te mettant à notre place ! D’ailleurs ça fait longtemps que tu as cette idée de reconversion, et, d’une manière générale, tu pensais à ta reconversion pendant ta carrière ?
Pendant de longues années, j’ai ignoré la possibilité d’une après carrière. Je prenais beaucoup plaisir à faire de ma passion mon métier. Passé 30 ans, j’ai vraiment pris conscience qu’une fin était inéluctable. C’est alors que J’ai commencé à penser à ma reconversion.
Je me suis tout d’abord renseigné sur les différentes formations ouvertes aux athlètes de haut niveau avant de m’orienter vers SPORTCOM, une école qui nous prépare aux métiers de journaliste et de communication dans le sport. L’idée première était de suivre les cours en parallèle du vélo mais l’arrêt de l’équipe SOJASUN en a décidé autrement.
L’exemple de ton frère, ancien pro lui aussi et qui a notamment participé au Tour, t’a-t-il aidé ? C’est un bel exemple de reconversion, c’est rassurant ? Ça te montrait qu’une autre vie, différente, mais réussie et toute aussi épanouie était possible ? Qu’ « il n’y a pas que le vélo dans la vie », titre d’un livre d’Armstrong.
Oui en effet, mon frère, ostéopathe depuis peu, a toujours été un exemple pour moi que ce soit sur le vélo ou dans la vie de tous les jours. Sa reconversion m’a surtout démontré qu’il était possible de faire un métier passionnant après le vélo.
Outre mon frère, j’ai aussi la chance de pouvoir compter sur mes parents et mon amie qui sont très positifs par rapport à ce choix.
D’autre part, La fédération (FFC), La ligue (LNC) ou encore le syndicat des coureurs pro (UNCP) nous accompagnent dans notre reconversion par des aides, des conseils ou des mises à disposition d’intervenants extérieurs, indispensables à notre cheminement. En fait, le plus dur est d’accepter l’arrêt. Pour la suite, je crois sincèrement que le métier de coureur cycliste professionnel est l’un des plus dur et des plus contraignant donc pourquoi douter sur notre reconversion ?
On ne va pas parler de dopage longtemps, on va laisser ce soin aux autres, mais pour parler de Lance, avec du recul, toi qui a été pro de 2002 à 2013, et bien que tu n’étais probablement pas dupe à l’époque, comment ressens-tu maintenant cette période ? T’imaginais-tu que le dopage prenait une telle importance, après l’affaire Festina qui était censée avoir fait le ménage (en tout cas c’est ce que les jeunes de l’époque s’étaient dit !) ? Tu dis dans une récente interview que tu sais maintenant seulement que tu ne faisais pas le même vélo. Tu as eu des moments de doute quant à tes qualités et ton niveau ?
Je fais parti de la génération post festina. Cette affaire a été une aubaine pour nous les jeunes français qui débutions dans le vélo. On a pris conscience très top que le dopage était synonyme de tricherie. Ça parait évident mais à la vue de toutes les histoires de dopage qui ont suivi, il faut croire que non…
A mes débuts chez les pros, j’ai découvert un nouveau monde et forcément : j’étais un peu naïf. Au fil des ans, j’ai appris à me méfier et à faire la part des choses entre une performance sportive propre et un exploit dénué de sens. Mais je dois l’avouer, j’étais loin d’imaginer la folie que décrit Tyler Hamilton dans son livre « La course secrète ». Ce livre m’a confirmé que je ne faisais pas le même vélo qu’eux pendant toutes ces années.
J’ai eu des moments de doutes surtout pendant mes années au Crédit Agricole où mon adaptation au Pro Tour a été difficile. J’avais la sensation de ne plus progresser. Heureusement ma 31ème place sur le Tour d’Espagne en 2008 et mon passage chez Besson Chaussures – Sojasun m’ont redonné confiance en moi.
Et justement, avec ces dernières années où les Français obtiennent à nouveau des résultats, tu penses qu’il y a enfin une évolution ? Que les mesures mises en place depuis une quinzaine d’années portent progressivement leurs fruits ? C’est ce qu’on ressent de l’extérieur malgré les scientifiques sceptiques ? À ce propos, les entendre parler systématiquement de dopage, eux et le grand public, ne te frustrait pas alors que le cyclisme est le premier sport à avoir fait de gros efforts, au point de pouvoir être contrôlé n’importe où, n’importe quand ?
La nouvelle génération me plaît énormément, elle est sans complexe. Mais je pense qu’elle n’est pas plus douée que la notre, elle profite simplement d’une meilleure équité grâce à une lutte antidopage plus agressive. Le système ADAMS est très contraignant et je suis heureux de ne plus à avoir ce poids sur mes épaules, mais il faut l’avouer, depuis sa mise en place en 2008, l’écart avec les tricheurs se réduit de plus en plus.
Il est difficile d’entendre ces pseudo scientifiques dire que tous les cyclistes sont dopés, et de les voir profiter de ce fléau pour gagner de l’argent. Cette vision pessimiste ne fait pas avancer les choses bien au contraire. Certes le cyclisme à un passé ambiguë avec le dopage, mais c’est aussi grâce à son passé qu’il est aujourd’hui le premier sport dans la lutte antidopage et donc le plus propre. Je suis fier de dire que j’ai été cycliste pro.
Fin du chapitre dopage ! Au niveau évolution au sens large car tu fais aussi partie de cette génération de transition entre un cyclisme un peu à l’ancienne et un cyclisme plus moderne « anglo-saxon », quelles sont les plus importantes pour toi ? Matos, internationalisation (des courses et des coureurs), moyens des équipes, bus, etc. Entrainement ? Le stress, la pression justement à cause des moyens supérieurs et de l’importance croissante du Tour ? La chasse à la Wild Card ?
L’évolution la plus importante de ces dernières années est, à mes yeux, l’entraînement avec l’apparition du capteur de puissance. Notre approche de l’entraînement a changé, elle est maintenant bien plus précise et donc moins archaïque. Le seul risque avec cet outil, est de se robotiser en perdant toute écoute de soi.
L’autre changement important est l’internationalisation des coureurs et la création de nouvelles courses aux quatre coins du monde. Elles tirent évidemment notre sport vers le haut, en impactant malgré tout le modeste organisateur français. D’un point de vue plus personnel, ces nombreux voyages et la découverte d’autres cultures ont été l’une des grandes richesses de ma carrière.
Toi qui n’as connu que trois équipes, toutes françaises, que penses-tu justement de ces nouvelles équipes anglo-saxonnes ? Aurais tu aimé y passer quelques saisons pour vivre une approche différente du vélo ? Comment sont elles ressenties par un peloton français traditionnellement un peu réticent aux changements ?
La grande différence entre une équipe anglo-saxonne et une équipe française est la mentalité. Les anglo-saxons n’hésitent pas à se remettre en question et essayer de nouvelles choses. Ils n’ont pas peur de se tromper. J’aime leur façon de penser et j’aurais bien été tenté par une expérience à l’étranger… Mais il faut l’avouer, leurs moyens sont sans commune mesure avec ceux des équipes françaises. Je suis curieux de voir un jour, une équipe française avec le même budget que la Sky : je pense que l’on serait agréablement surpris.
Et à ce propos qu’aurais tu aimé faire différemment ? Dans la gestion de carrière, dans tes choix, même si j’ai l’impression que tu es plutôt réfléchi. Un conseil à donner aux jeunes ? Surtout qu’ils marchent fort nos jeunes Français maintenant, il ne faudrait pas que ça devienne des « footballeurs » ! Dans le vélo mieux vaut rester humble non ? Chaque course est une remise en cause. Et au niveau financier, sans rentrer dans les détails évidemment, qu’est ce qu’un coureur comme toi retire d’une carrière quand même assez longue ? De quoi être rentier, je ne crois pas ? De quoi avoir un peu de temps pour se retourner ? Il faut avoir conscience qu’une carrière est courte et peut s’arrêter à tout moment. Tu l’avais vite compris et mis de côté intelligemment ? D’ailleurs à la fin du Crédit Agricole comment ça s’était passé ? Tu avais envisagé d’arrêter ?
Le vélo nous apprend l’humilité et la rigueur, pour preuve j’ai commencé en cadet en pensant tout gagner et il m’a fallu 1 an pour terminer une course dans le peloton de tête et 4 autres pour en gagner une. Dans un sport d’endurance comme le notre, seul le travail compte. Et puis il est vrai qu’une carrière peut s’arrêter à tout moment, mauvaises performances, blessures ou de façon indirecte la fin d’une équipe. L’idéal est d’avoir établi un plan de carrière dès son passage chez les pros et de s’y tenir lors des décisions importantes.
Sur un plan économique, mes revenus ont toujours été en constante augmentation. Je n’ai par contre jamais eu de contrat en or, comme on dit, ce qui m’a surement préservé de la folie des grandeurs. J’ai pu investir dans ma résidence principale et mettre de côté mais rien qui me permette aujourd’hui de me la couler douce. Juste de quoi me donner 2 ans pour retourner à l’école et essayer de me recycler au mieux.
Il est important de choisir sa fin et tu l’as choisi… ou presque car, quand même, quand tu t’es retrouvé par terre au Tour de Vendée, en train d’être soigné sur le bord de la route, qu’as-tu ressenti, que se passait il dans ta tête ? Un soulagement (paradoxal) ? Tu y as vu un signe qu’il était temps ? Que tu n’avais plus envie de vivre ça ? Ou au contraire, un petit coup de blues, de « dep » ? Tu t’es dit ça y’est c’est vraiment fini ? Et, pire peut-être, le soir seul à l’hôpital ? Sachant qu’en plus, tu pouvais boucler la boucle à Paris Bourges, ta première course chez les pros !
Dans ma tête c’était décidé, j’arrêtais à Paris Bourges 12 ans : jour pour jour, après avoir fait ma 1ère course chez les pros en 2001 avec l’équipe de France espoir. Quand j’ai chuté 4 jours plus tôt au Tour de Vendée et que j’ai compris que c’était la fin, j’ai eu, sur le moment, un gros coup de blues. Mais étant d’un naturel optimiste, j’ai vite retrouvé le sourire. Cette cicatrice à l’épaule restera comme un souvenir indélébile de mon passage chez les pros.
Est ce que le vélo va te manquer ? C’est certainement plus concret au moment où tu reprenais traditionnellement le vélo, vers novembre, au moment des habituels premiers stages, et des premières courses ! Tu vas continuer à suivre ? Et à pratiquer ?
L’entraînement hivernal n’est pas ce qui me manquera le plus. Par contre J’aurais surement un pincement au cœur lors de la reprise de la saison… Depuis mon arrêt, j’ai fait que 2 sorties de vélo. Ce n’est pas tant le vélo qui me manque mais surtout le sport. Pour pallier à ce manque je cours et je nage dès que je le peux. Et puis, avec mon ami Jérémie Galland (NDLR: pro chez Sojasun aux côtés de Yannick), lui aussi néo retraité, nous allons faire cette hiver la Transjurassienne en ski de fond avant d’enchaîner au printemps sur des trails. Néanmoins, je reste un grand passionné de cyclisme et ayant encore des amis dans le peloton je continuerai à suivre ça de près.
Allez pour finir : le ou les grands champions (ou pas d’ailleurs, peut-être des mecs de l’ombre !) qui t’ont marqué ? La plus belle course et la pire ? Ta carrière en 2/3 mots forts ? Et le pire et le meilleur moment ?
J’ai été marqué par l’expérience humaine hors du commun qu’on a connu au sein de l’équipe Besson Chaussures – Sojasun. Je retiendrai les personnes, l’ambiance, les victoires… mais surtout que le vélo est bien de tous les sports individuels le plus collectif. Je suis aussi assez content d’avoir été le meilleur grimpeur du Tour de l’Avenir en 2004, du premier au dernier jour de l’épreuve !
Pour les moins bons souvenir, je dirais cette victoire manquée sur le TRO BRO LEON en 2009 : après avoir été échappé pendant 200 km, je suis repris seul à 100 m de la ligne ! Cela dit, cette journée reste aussi une des meilleures en termes de sensations ! Autre mauvais souvenir, ma fracture du coude en 2007 sur TIRRENO-ADRIATICO.
Les plus beaux souvenirs, je les ai vécus sur le Tour de France, en 2011 avec SAUR-SOJASUN : le passage du col du Tourmalet avec le groupe maillot jaune d’une part et puis mon échappée sur l’étape Le Mans – Châteauroux, qui m’a valu le « Prix de la Combativité ».
Nous remercions Yannick pour sa disponibilité et sa sympathie et espérons le retrouver très vite pour suivre sa reconversion !
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